Voilà
plus d’un an que je n’ai pas alimenté ce blog. L’objectif de ce blog était de
faire découvrir et de partager la musique de compositeurs (trop) peu connus du
grand public, que j’aime beaucoup et dont j’ai analysé des œuvres, en faisant
un rapport suffisamment compréhensible pour tout le monde. Mais des amis m’ont
dit que certains articles étaient tout de même pointus. Alors je vais vous
parler quand même de Varèse, dont la musique peut paraître très complexe, mais
sans trop pousser dans les détails techniques, ou en donnant des exemples
précis et ciblés.
Dès
le début du XXème siècle, Varèse imaginait que les progrès de la science allaient
produire des instruments aux possibilités sonores infinies et capables de se
plier à la volonté et l’imagination sonore du compositeur. Il demanda au début
des années 1930 des subventions aux États-Unis pour créer un laboratoire de
musique électronique, demande qui ne sera malheureusement pas exaucée. Le premier laboratoire sera celui de
Pierre Schaeffer à Paris après la 2ème guerre mondiale, grâce auquel il a pu réaliser dans les années 1950 Poème électronique
et Déserts. Avant cette période, il explorait par le jeu instrumental des effets sonores nouveaux, assez courants
maintenant dans la musique contemporaine instrumentale et électronique, mais
avec une sensibilité parfois encore impressionniste (c’est-à-dire une influence
debussyste dans l’orchestration). Elle est visionnaire car c’est sans doute la
première fois qu’un compositeur tente de manipuler, non seulement des mélodies,
des rythmes et des accords, mais aussi l’intérieur même, le cœur même du son,
de façon aussi véhémente et radicale.
Amériques, pour orchestre symphonique,
et Offrandes, deux chants pour
soprano et orchestre, ont été composées en 1921. Ces œuvres figurent parmi les
œuvres les plus anciennes qu’on ait pu retrouver chez ce compositeur, les
autres ayant été détruites par lui-même ou par un incendie. Les exemples qui
vont suivre sont tirés de ces deux œuvres, que j’ai choisies parce qu’elles sont
magnifiques, mais aussi parce qu’elles contiennent à la fois des éléments
musicaux assez traditionnels, et des éléments complètements nouveaux, ce qui
les rend vraiment fascinantes. Je vais maintenant vous donner quelques courts
exemples, mais vous pouvez aussi écouter les pièces en entier
auparavant si vous préférez le faire dans cet ordre (voir tout en bas).
Voici
un premier extrait d’Amériques, qui
peut résumer en elle-même beaucoup de techniques varésiennes différentes (je
vais vous détailler quelques unes de ces techniques plus loin), et contient des
sonorités inouïes.
Vers
le milieu de cet extrait, on peut entendre le thème principal d’Amériques, qui sera repris à la fin de
l’extrait par la trompette. Il est joué par la flûte alto, et sa dernière note
est reprise, prolongée par la clarinette. On a l’impression d’une
transformation du son au cours de sa résonnance. Cette sensation de
transformation peut se faire de manière continue, progressive, ou bien plutôt
par étapes comme dans l’exemple suivant, un extrait de La croix du Sud, deuxième chant des Offrandes.
Un
motif rythmique sautillant passe de la clarinette, vers le tambour militaire,
ensuite vers la harpe, repasse encore vers le tambour, ensuite les
cordes, pour finir dans l’aigu avec les vents (flûte, hautbois, clarinette,
cor). Peut-être qu’il s’agit d’une description musicale des paroles : La pluie enferme tout le tropique dans une
cage de cristal.
Encore
un exemple de transformation continue, ou même de fusion de sons, dans
l’introduction du premier chant, Chanson
de là-haut. Entre la trompette solo et le hautbois, et entre le violoncelle
à la sonorité métallique et le cor.
Ce
qui caractérise encore plus la musique de Varèse, c’est l’espace sonore. Des
espaces fermés, où apparaissent des objets sonores contractés, contrastent avec
des espaces plus larges, dans lesquelles peuvent s’épanouir des sonorités
aériennes, ou exploser des sonorités rugueuses et violentes. Les deux états
peuvent se succéder subitement en formant un contraste saisissant, évoluer
progressivement, ou bien encore exister en même temps comme le montre cet
extrait de Chanson de là-haut.
Un
large espace sonore est créé par un accord très doux des cordes, allant du très
grave au très aigu, et de la flûte doublé par le basson jouant une mélodie
suspendue. À l’intérieur de cet espace apparaît un objet plus contracté, des
coups réitérés de harpe mélangés à la cymbale. On trouve une situation très
similaire dans ce magnifique extrait d’Amériques :
Ces
ouvertures d’espace donnent lieu parfois à des accords très denses, riches,
complexes, lourds (on appelle ça des clusters,
c’est-à-dire des grappes de sons, et dans ces cas-là il s’agit de très gros
clusters, on peut les appeler accords gratte-ciel).
Voici comment se termine Amériques :
Les
instruments de percussion occupent une place privilégiée, sont utilisés de
manière originale. Ils peuvent se fusionner dans les autres sonorités
instrumentales comme on peut l’entendre dans les trois exemples précédents,
mais peuvent aussi avoir des parties complètement indépendantes, comme dans
l’introduction de La croix du Sud
(exemple suivant). L’instrumentation de Varèse s’étend aussi aux sirènes
d’alarme et à des instruments de percussion peu utilisés, comme le tambour à
corde (Lion’s roar en anglais, un
instrument imitant le rugissement du lion).
Enfin,
je dois vous parler brièvement de Ionisation, qui est une des premières pièces
écrites pour percussions seules. Voici dans l'ordre: Offrandes, par Asko Ensemble dirigé par Riccardo Chailly, Amériques par le New York Philharmonic dirigé par Pierre Boulez, et Ionisation par l'ensemble InterContemporain dirigé par le même Boulez.
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